Corps et esprit, pas de différence
Difficile de parler de bonheur sans parler de bonheur physique, de santé, d’amour et de plaisir du corps.
Pourtant, ce lien n’est toujours pas évident pour une partie de ceux qui s’intéresse à la psychologie et au développement personnel.
Traditionnellement, dans les sociétés occidentales, notamment en France, le corps a longtemps été vu soit comme une machine qui doit bien fonctionner, soit comme un animal qu’on doit maîtriser.
D’abord, la France est un pays qui est plus plus intellectuel que sentimental. On a longtemps valorisé les grands philosophes et écrivains plus que les grands sportifs ou les costauds capables de porter de lourdes charges. On voyait le corps comme un outil, qu’on utilise, une machine, voire un simple véhicule destiné à transporter notre cerveau. On lui demandait d’obéir en silence, c’est à dire d’être en bonne santé et de bien fonctionner.
Ensuite, parce que la France a jusqu’à récemment été profondément marquée par la culture judéo-chrétienne, où le corps était vu comme notre partie impure, celle qui par ses désirs est un obstacle à la pureté et donc à l’élévation de l’âme.
Ce méchant corps nous demande en effet de manger (et hop, péché de gourmandise), de dormir (péché de la fainéantise), de faire pipi et caca (c’est sale) et de copuler (bam, le pire, la luxure).
Maîtriser ce qui est pourtant la liste exacte de nos besoins fondamentaux pour parvenir au paradis, a longtemps été ce pourquoi on essayait de le tenir à distance, de le maîtriser, et de l’ignorer.
Ce n’est que grâce aux récentes études scientifiques et médicales, notamment dans le domaine des neurosciences, que l’on a pu comprendre que « le corps et l’esprit ne sont ni la même chose ni deux choses totalement séparées : ce sont deux entités différentes mais très étroitement connectées. » (Christophe André1).
De grands penseurs, comme Denis Diderot et Jean-Jacques Rousseau, un peu en opposition avec ces siècles du sombre, ont montré que l’être humain est tout un ensemble. Que ses ressentis corporels avaient un impact émotionnel, et vice-versa.
Mais c’est vraiment au siècle dernier (le vingtième, et oui, ça avance), que la médecine, la psychologie et surtout les neurosciences ont permis de comprendre ce qu’est notre corps. Un écosystème très complexe, subtil, dans lequel se produit quantités d’interactions. Et pas juste un cerveau qui commande des muscles et des organes.
Comme l’est la nature en fait… un écosystème où tout est lié.
Tout ce qui concerne le cerveau touche le corps, et vice-versa, via notre système d’interface : les émotions.
Une émotion se ressent toujours à la fois dans le corps et par des contenus mentaux.
Par exemple, tout le monde a déjà constaté que la peur nous rend pâle, nous faire battre le coeur et transpirer, peut nous empêcher de dormir, nous donner des maux de têtes, des diarrhées, nous fatiguer… et que quand on est amoureux on a meilleur mine, une énergie physique qui nous rend capable de ne pas dormir pour passer la nuit avec l’être aimé.
Nos émotions sont très importantes dans notre santé physique comme notre santé mentale. Dans notre évolution, notre cerveau a évolué du plus primitif (notre cerveau reptilien, placé à la base du crâne, en haut de la colonne vertébrale), au cerveau émotionnel, qui est apparu avant notre cerveau le plus « moderne », le plus rationnel, intelligent : le cortex néo-frontal, qui comme son nom l’indique est situé derrière notre front.
Nos émotions constituent un cerveau intuitif, qui comprend tout plus vite et différemment que notre cortex, et donne des réponses bien avant que nous puissions réfléchir: par exemple, une voiture qui arrive à grande vitesse sur nous déclenche la peur, qui donne l’information au corps, qui le fait sauter sur le côté, avant même que nous ayons réfléchi… et heureusement! Dans ce cas, ce sont les cerveaux primitif et émotionnel qui ont agi.
Mais cela va plus loin : ces deux cerveaux offrent une autre forme de pensée, plus intuitive, qui utilise notamment toutes les informations que leur envoie notre corps. Et notre cortex est totalement branché sur eux.
Ce sont plusieurs outils de « réflexion » : le corps, le cerveau reptilien, le cerveau émotionnel, et le cortex, tous connectés entre eux.
Or nous avons tendance à n’écouter que le dernier… ce qui nous empêche de profiter de toutes les informations et toute l’intelligence supplémentaire : celle du corps, celle des réflexes, celle des émotions.
Par exemple, l’intuition. Si on se sent mal à l’aise devant quelqu’un, qu’on sent dans son corps qu’il y a quelque chose qui cloche, il faut vraiment l’écouter.
Tout notre corps, y compris notre cerveau, sont en train d’analyser la situation, et de nous envoyer un message. Que cette personne soit en train de nous mentir, de nous manipuler, de chercher à nous abuser, vous pourrez le déterminer grâce à votre cortex, en posant des questions et en examinant les réponses, ou en analysant des indices de langage non corporel. L’information la plus importante pour nous est déjà là, et il est important de l’écouter. Notre cortex n’est pas tout-puissant, notre cerveau émotionnel et notre corps tout entier sont intelligents.
Il y a de nombreux domaines à explorer, grâce aux avancées de l’imagerie médicale et des neurosciences, qui nous permettent aujourd’hui de voir en direct nos émotions vivre dans notre tête, allumer ou éteindre des zones que l’on connaît de plus en plus finement.
On sait que les souffrances mentales et émotionnelles peuvent rendre physiquement malade, que ce soit l’anxiété qui provoque des migraines et des douleurs dorsales, jusqu’à la rumination mentale et les souffrances non exprimées qui aboutissent à un nombre plus élevé de cancers.
Et que la douleur chronique peut entraîner la dépression.
A l’opposé, beaucoup d’expériences et d’études prouvent aujourd’hui l’efficacité de thérapies alliant le corps et l’âme, des moyens de guérir de certaines maladies mentales en utilisant le corps, et de guérir de maladies physiques en utilisant l’âme.
C’est non seulement passionnant, mais ça donne aussi beaucoup d’espoir.
(1) Psychiatre, il exerce à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, au sein du service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique. Il est spécialisé dans la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs, et tout particulièrement dans le domaine de la prévention des rechutes. C’est l’un des chefs de file des thérapies comportementales et cognitives en France, et a été l’un des premiers à introduire l’usage de la méditation en psychothérapie. Chargé d’enseignement à l’université Paris X, il est l’auteur de nombreux livres de psychologie à destination du grand public.
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