Ma vie magique quand je m’en bats les c***

M'en fous

L’une des plus grandes découvertes de ma vie, de celles qui vous changent un homme (enfin, en l’occurrence, une femme), de celles qui donnent l’impression d’avoir vu jaillir une étincelle de prise de conscience, d’avoir décroché la ceinture noire de l’éveil spirituel, est le jour où j’ai réalisé l’immense pouvoir qu’est de choisir de n’en avoir rien à foutre.

Cela s’est passé un jour normal, banal, quand j’étais au plus profond de ma dépression.

Je partais marcher, comme je le faisais tous les matins, pour exposer mon corps à la lumière, pratiquer une activité physique, afin de booster ma glande pinéale, mon taux de dopamine et celui de sérotonine. Bref, j’essayais de survivre.

Ce matin-là, j’ai croisé mon voisin de gauche. Un type fade, maigre, moche, mou, manifestement inintéressant, et surtout totalement hermétique aux nombreuses tentatives de connexion et d’interactions que j’avais effectuées jusqu’alors.

Concrètement : aborder un grand sourire, dire bonjour, essayer de faire quelques blagues, développer une relation de voisinage cordiale.

C’est quand même mon voisin de gauche, enfin mes voisins de gauche, puisqu’ils sont deux, lui et sa femme. Nos deux portes d’appartements sont en angle, on se retrouve donc parfois l’un en face de l’autre quand on sort de nos foyers respectifs. Difficile de ne pas se dire au moins un poli « Bonjour »…

C’est en tout cas ce que j’ai toujours fait. Que ce soit en entrant dans une boulangerie, en assistant à une réunion ou une conférence avec des inconnus… un grand sourire, essayer de créer un lien, une relation, de générer de l’empathie, un contact positif.

Parce qu’à priori, je me dis encore un peu que les gens sont sympas. 

Lui, comme toujours, il n’avait pas fait un seul pas vers moi. Je donnais sans retour. Mais je donnais, parce que.

Mais ce matin-là, ma réserve d’empathie, de volonté, de bonne humeur et de gentillesse était à plat. Mon tonneau était vide, mon compte à sec.

Je suis sortie, et dans la demi-seconde, la seule pensée que j’ai vue me traverser l’esprit quand je me suis retrouvée devant son visage tout gris fut :

« M’en fous. »

Je m’en moque royalement, de lui plaire, de créer une bonne relation, d’être sympa, et tout le truc.

Je n’en ai rien à faire, qu’on soit potes ou non.

Là, je veux juste avoir assez de courage pour faire cette marche, qui me permet de ne pas trop ruminer mes idées noires pendant à peu près une heure.

Et surtout, je m’en bats les couilles, de ce que tu penses.

Enfin, les ovaires, pour être anatomiquement correcte.

JE-M’EN-CARRE.

Je suis sortie, je l’ai regardé une demi-seconde, et me suis tournée directement vers l’ascenseur.

Ni bonjour, ni rien.

J’ai appuyé sur le bouton, il a attendu à côté de moi, on a descendu les 4 étages sans un mot, et voilà. Je n’avais juste pas l’énergie. C’est ce que je me suis dit, en tout cas.

Mais ce n’était pas moi, moi si attentive aux interactions sociales, à faire ce qui est bien, bon, poli, courtois, respectueux. J’arrive à l’heure, je préviens si je suis en retard, je n’oublie pas les anniversaires, je me pliais parfois vraiment en douze pour rendre service, même si je n’en avais pas envie, parce que l’amitié, quand même, c’est aider l’autre quand il en a besoin.

Non, c’était ma maladie, qui me mettait dans cet état anormal. Même pas dire bonjour à son voisin de palier…

Au bout de vingt minutes de petits pas sous les branches et les feuilles du parc où je me traînais tous les matins, j’ai commencé à réaliser quelque chose de surprenant. J’avais l’étrange sensation d’avoir, en fait, économisé sur mes faibles réserves d’énergie. Ou plutôt, d’implication. Ou de… don.

J’étais déjà dans le passif, j’avais déclaré forfait, j’avais enclenché le mode « survie ». Je n’avais pas assez de couilles à donner.

Voilà, j’étais à court de couilles.

A sec, poches vides, en surendettement. Il fallait que je garde ma petite réserve, mon Livret A de Couilles pour ce qui était vraiment important : mes rendez-vous chez le médecin, mes soirées avec mon compagnon, un minimum de ménage, un minimum de compta, de courses, de repos, de travail, de loisirs, de paix.

J’ai alors commencé, doucement mais sûrement, à me rendre compte de la montagne d’obligations que j’avais pris l’habitude d’accepter sans même réfléchir à ce que cela m’apportait.

La première occasion de le vérifier fut lorsque des amies me proposèrent de venir découvrir le deuxième bébé de l’une d’entre elles. Quarante minutes de route vers une clinique gigantesque dans un pôle santé encore plus immense, un cadeau à acheter, donc un détour par le centre ville un samedi après-midi…

D’ordinaire, j’aurais donné tout ce qui me restait de force pour accomplir mon devoir d’amie. J’étais contente pour elle ! Mais là… non.

Je m’en voulais terriblement, mais j’ai réalisé le tour de force d’être juste sincère en leur disant :

« Je n’ai pas le courage ».

Aucune d’entre elles ne m’en a voulu. Elles m’ont juste dit : « On se verra plus tard, quand elle rentrera chez elle, elle aussi a envie de se reposer de toute façon ».

Il n’y avait donc que moi qui me mettait cette pression.

Et je donnais énormément alors qu’on ne me demandait absolument pas ça, en fait.

J’ai alors commencé la liste de tout ce dont je n’avais rien à faire.

J’ai dit à mon compagnon de l’époque que je n’aimais pas aller le voir en compétition le weekend, que je n’avais plus envie de venir. Il m’a dit qu’il préférait.

J’ai rangé les trois quarts des bibelots qui s’étalaient sur nos meubles, pour arrêter d’épousseter des trucs alors que ça ne m’apportait absolument… rien.

J’ai aussi renoncé à repasser mes draps, mes jeans, mes sous-vêtements. Zéro perte, que du gain (de temps, et d’électricité aussi)

J’ai porté des baskets quand je devais marcher sur des trottoirs pavés, même si les talons sont plus habillés.

J’ai commencé à dire la vérité : « Je n’en ai pas le temps / l’énergie / l’envie / les moyens ».

J’ai dit « Non » à des soirées d’anniversaires, des mariages de gens que je n’aimais pas vraiment, ou pas assez, ou qui étaient vraiment loin. Ou quand le billet d’avion était vraiment trop cher. Valait mieux me payer des massages. Pour moi. Je ne m’en offrais jamais – mais j’en avais offert plein aux autres.

Je donnais mes Couilles à tout le monde, sauf à moi.

J’ai limité les rendez-vous physiques, que j’ai transformé en appels téléphoniques. Un gain de temps de fou.

D’ailleurs, dans mon travail de freelance, je ne me déplaçais quasiment plus. Une discussion par téléphone, un échange d’emails, un Skype, si déjà ça ne suffisait pas à créer la confiance, l’envie, pas la peine d’aller plus loin.

Fini les propositions commerciales quand on ne sait même pas si le client a le budget : d’abord un devis, puis si ça passe, quelques pages pour expliquer tout ce que je vais lui apporter d’extraordinaire pour ce prix.

J’ai commencé à comprendre l’immensité et l’étendue des domaines dans lequel la magie du « M’en Fous » s’appliquait.

Les rangements inutiles, les réunions inutiles, les déjeuners networking inutiles, les contacts inutiles.

Les soirées où je préférais être seule devant une bonne série que d’aller au restaurant à plusieurs.

Les pots de départ de gens que je ne connaissais même pas : M’en Fous.

Le nettoyage de voiture le samedi matin alors qu’il y a la queue à la station-service : M’en Fous. Le temps et l’énergie, je l’estimais à trois Couilles, donc je préférais garder ça pour une heure de yoga. Trop bien.

Les discussions inutiles. Les moments où l’autre veut avoir raison, et où l’on répond « OK » au lieu d’essayer de lui donner les bonnes informations. Les moments où la copine se plaint pour la douze millième fois des mêmes choses, et qu’on perd beaucoup de temps et d’énergie à écouter, sans que cela apporte quoi que ce soit ni à l’une ni à l’autre.

Quand on veut garder ses Couilles, et qu’on dit alors :

« Je dois y aller. » C’est vrai, on a besoin de s’en aller de cette conversation qui, à moi, ne m’apporte rien.

« Je suis fatiguée. » C’est vrai, je suis fatiguée, c’est la dépression qui fait ça. Ou juste une sale nuit. Ou la digestion, ou la chaleur. Peu importe, d’ailleurs.

« Je n’ai pas le temps. » Non, vraiment, il y au moins mille choses plus intéressantes à faire qui me viennent à l’esprit dans la seconde, donc sans doute dix mille autres en vrai. Et le temps, c’est ce qu’on a de plus précieux dans la vie, et on ne peut pas nous en rendre.

« Cela ne m’intéresse pas vraiment. » De faire 30 minutes de route pour voir la nouvelle couleur de la chambre de leur fiston. Ben non. C’est beige virant sur le taupe, je vous crois. Je serai là pour ton anniversaire, ma copine, par contre.

« Je ne peux pas. » Aider à monter cette étagère, alors que j’ai une sciatique. Prendre l’astreinte du samedi matin, alors que j’ai eu une nuit de deux heures et une journée à double rallonge le vendredi.

« Je n’en ai pas envie. » Tout simplement.

Et petit à petit, je me suis rendue compte que Garder ses Couilles pour l’essentiel, appliquer la méthode M’en Fous le plus souvent possible, c’était en fait être sincère. Avec les autres et avec vous. 

Etre simple. 

Et pratiquer la communication assertive, non-violente, et l’écoute de soi.

Le respect de ses besoins.

La concentration sur l’essentiel, parce que la vie est courte, et qu’il faut mettre, comme le disent les Américains, first things first ce qui est important en premier.

Si votre sommeil est le plus important, si votre santé, votre temps, votre famille, votre projet de vie passent avant, et bien, le reste passe après.

Vous n’êtes, en gardant vos Couilles, ni impoli(e), ni méchant(e). C’est même le contraire. Vous êtes honnête avec vous-mêmes et avec les autres.

Bien sûr, si vous pensez que ce pot d’entreprise barbant est un investissement pour votre carrière, c’est votre choix. Mais ce n’est pas une Couille de perdue, si c’est un choix volontaire, pas une énième obligation. Une millième « politesse ».

J’ai guéri de ma dépression notamment à partir du moment où j’ai commencé à m’en foutre de manière réfléchie, mais systématique. J’ai lâché prise, relâché la pression, et pris soin de moi.

Entre la vaisselle et une sieste? La Couille va à la sieste.

Entre Mon Rêve et cette mission qui a peu de chances d’aboutir? Mon Rêve.

Entre l’appel à Jean et l’appel à Jacques? Jacques gagne d’au moins deux Couilles, plus drôle, plus positif, bien plus à l’écoute que Jean, qui est souvent râleur et déprimant. Lui aura juste un texto, on attendra que la réserve de Couilles soit à son maximum.

Edit 2024: bye bye Ma Vie Magique, mon bébé blog qui m’a appris à maîtriser WordPress. Mon nom de domaine est à vendre chez GoDaddy pour des milliers d’euros, comme quoi il y eu quelques lecteurs… ce qui me surprend toujours, vu le nombre de conneries que je peux y raconter! Mais ma vie reste magique, encore plus qu’avant, et j’ai toujours encore envie de vous en parler.

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6 réponses

  1. sophieboudarel dit :

    Merci pour ce texte plein d’honnêteté et de courage. Je suis passée par toutes ces étapes aussi, et je suis arrivée au même point que vous. Les personnes qui m’ont alors traitée d’égoïste parce que, dans un premier temps j’essayais juste de survivre, j’ai fini par les laisser à leurs critiques. Je ne veux pas, plus, épuiser ma réserve de c. pour ce qui me fait perdre mon temps.

    • Sophie, tu l’as compris : quand on donne TROP, on arrive à un point de saturation et on ne donne PLUS DU TOUT. Il faut d’abord « remplir son propre tonneau » avant de donner (du temps, de l’écoute, de l’argent…). Si on manque de temps pour soi, il faut d’abord penser à soi. Apprendre à bien donner, quand on a déjà suffisamment.

  2. Je ne suis pas dépressive, mais je suis fatiguée (pour plein de raisons 😀 ). Disons que j’ai plus une personnalité « burn out » qu’une personnalité « depression », si je dois vraiment me définir (toujours plus, toujours plus vite, on attend surement tel ou tel résultat de moi, blablabla), donc je dois faire très attention à mon énergie. Cet article vient tellement faire écho à ce mode que mon chéri appelle « économie d’énergie », à base de « je m’en bats les couilles » que je ne peux pas passer à côté 😀
    Je crois que ceci concerne tout le monde ! Une autiste Aspeger en parle avec ce qu’elle appelle « La théorie des cuillères », je mets le lien de la video 🙂
    https://www.youtube.com/watch?v=joucXLKXbO8

    Je crois que je préfère compter en « couilles » qu’en « cuillères », ca me fait bien plus rigoler 😀 merci !

  3. Jasmina dit :

    Merci pour ce texte qui fait écho à beaucoup d’entre nous. A trop donner sans recevoir, on s’épuise sans ce recharger. Savoir s’en foutre et dire non, peut nous éviter bien desservi tracas.

  4. Auri dit :

    Qu’est-ce que ça me parle ! Merci pour cet article. C’est exactement ce que je commence à vivre. Je n’étais/suis pas en dépression, mais, suite à une sorte de « burnout perso-pro » dû à une année trop intense, je suis en pleine période de remise en questions, sorte de « crise existentielle » qui va jusqu’à remuer de vieux trucs en moi…. Suis allée voir une microkiné pour ça, c’est assez libérateur ! Et ca aide vraiment au « j’m’en bats les c… ». J’ai toujours été bcp + tournée vers les autres que vers moi-même… Ce serait un truc de zèbre ?
    Merci en tous les cas. Je découvre votre blog grâce à l’article relayé dans les tribulations d’un petit zèbre. Super !!

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